Low, Trust [Rough Trade]
Le problème avec Low, c’est qu’on ne peut décemment
pas leur demander d’écrire éternellement le
même album, de revisiter indéfiniment ces mêmes
eaux merveilleuses qui avaient fait la réussite des premiers
temps, sous peine de voir bientôt le lac idyllique se transformer
en marécage fétide d’eaux stagnantes hantées
par les fantômes de ces chansons-perles toujours imitées,
jamais égalées… Et oui, à l’époque
des manipulations génétiques, de l’invasion
des gsm, et tout le tralala, les choses évoluent, et il
faut l’accepter, même si on aimerait pouvoir encore
un peu rester au coin du feu, dans notre petite cabane préhistorique
là-bas, tout au fond des bois, et faire comme si la civilisation
n’avait jamais été autre chose qu’un
mauvais rêve. Seulement voilà, comme le gueulaient
avec hargne les voix masculines de Rodan : « everything
changes », Low y compris.
Déjà en 1995, avec « The curtain hits the cast », troisième
album merveilleux mais discuté, certains avaient vu une
impasse dont le groupe aurait du mal à sortir. On les imaginait
tourner en rond, encore et encore, ressassant les mêmes
rengaines jusqu’à l’épuisement. D’où
: virage –petit virage- d’une dizaine de degrés,
et « Secret name », voyait le jour, première
collaboration avec Steve Albini qui, en plus de son savoir-faire,
apporta ce petit vent nouveau nécessaire à l’élaboration
de cet autre son adopté bientôt par Low.
Mais voilà advenir un autre problème : quand les six
mains et trois visages de Low « innovent », ou du
moins ; marquent leur évolution, même si en général
ils sont toujours parvenus à étoffer sans jamais
étouffer, ne perdent-ils pas aussi en émotion ?
C’est une question que je me pose...Et c’est, selon
moi, en partie pour cette raison qu’on appréciera
« Secret name » sans réellement le retenir,
à l’image du e.p brumeux et minimaliste « Songs
for a dead pilote », surprenant et magnifique d’expérimentation,
osé mais un brin trop hermétique pour qu’on
s’y attache vraiment. « Born by the wires »,
par exemple, chanson qui se terminait sur le même accord
répété des milliards de fois à la
vitesse sonique d’un mouvement de la main toutes les douze
secondes, reste un mystère toujours impossible à
percer. Mais « Trust » ne va pas si loin…
La première écoute de ce nouvel album est difficile
; déstabilisé, on se paume car la route à
suivre n’est pas très claire. Le petit museau discret
de la déception pointe son nez mais il faut insister. Qu’est-ce
qui ne va pas ? Et petit à petit, la réponse se
dessine dans le mou de l’air : même si « Trust
» est fort diversifié (jamais album de Low n’a
été aussi varié en fait), on voit les chansons
doucement glisser et prendre deux directions différentes.
Voilà pourquoi l’album fait hésiter, voilà
pourquoi les mots pour le décrire ne jaillissent pas instantanément
(l’ont-ils jamais fait d’ailleurs ?). Car si, d’une
part, les membres de Low semblent vouloir expérimenter
de nouvelles choses tout en renouant avec la lenteur et noirceur
du début, ils semblent également faire un pas de
côté en cherchant à s’acoquiner avec
cette simplicité un peu enfantine qu’on leur prêtait
autrefois. Seulement ici, à l’écoute de morceaux
tels que « La la song » ou « Last storm of the
year », on se surprend à s’interroger sur la
différence qu’il existe entre simplicité et
facilité. Mais « Canada »,premier single de
l’album- et pas pour rien -, est sans doute le meilleur
exemple, avec sa disto rentre-dedans et son faux-air grungy .
Exemple à ne plus suivre…
Pas exactement dans la continuation de « Things we lost in the
fire », mais pas totalement libéré de la petite
place au chaud que ce cinquième album avait pris la peine
d’aménager, « Trust » se voit abandonné
par les petits bidouillages typiques de Steve Albini, et accueille
les mains expertes de Tchad Blake (Lisa germano, Pearl Jam,…).
Les cordes, subitement disparues, laissent place à de très
discrets confrères : quelques pincements de banjo sur «
In the drugs », le souffle d’un accordéon,
le léger grondement d’un trombone,…Les mots
chantés sont, comme à l’habitude, énigmatiques
et peu bavards. Les voix se multiplient jusqu’à devenir
chœur gospel et résonnent dans un espace de plus en
plus ample et vaste. Et oui, « Trust » ouvre l’espace
et perd en intimité, prend le temps de se mettre en place,
puis s’étire, comme un chat, dans le sens de la longueur.
Mais pas de panique, la longueur chez Low, on connaît !
Il ne reste plus qu’à pointer les zones de lumière
flagrantes, celles qui nourrissent l’âme et le corps
de l’auditeur, celles qui sont comme les sommets fabuleux
pour lesquels on accepte de traverser n’importe quelle plaine
stérile, car, après tout, « Trust »
a beau avoir ses défauts, hésiter quant à
la route – présente et future – à suivre,
il reste néanmoins cette hostie ronde qui fera trembler
par moment, ces quelques chansons hantées et obsédantes
collées sur toutes les parois du cerveau, ces ambiances
noires (on ne dira jamais gothiques) qui rampent sous nos yeux,
vers nos pieds, prêtes à tout moment à les
attraper et les tirer vers elles, mais on peut bien s’écrouler
par terre ; sur le dos, sur le sol, on tremble aussi. «
The lamb », petit chef-d’œuvre sur lequel la
voix d’Alan Sparhawk s’est bizarrement cassée,
construit des villes fantômes où les ombres se livrent
à d’étranges duels, « John Prine »
écoute le vent faire crisser des palissades de bois. «
Point of disgust », deuxième morceau où Mimi
Parker assure les vocalises, est touchant et tout en finesse ;
quelques notes perdues comme les yeux se perdent dans le vide,
« That’s how you sing amazing grace » fait résonner
sa basse comme dans les meilleurs titres du groupe alors que,
pour le clin d’œil, on détourne joyeusement
(façon de parler), les paroles du grand classique. Enfin, « Shots
and ladders », et ses petits samples de voix tordues, gagnent
des dimensions de mini-symphonie et clôture l’album
en beauté. Plus qu’en beauté même ;
allons-y ! et parlons carrément d’extase.
Quant au titre de l’album, il peut paraître creux et rébarbatif,
mais ceux qui ont appris à lire la langue de Low devraient
savoir qu’un mot simple est d’autant plus touchant
qu’on lui donne une signification réelle, parfaitement
sincère, à l’instar de ces petits mots indispensables
qu’on trouvait rangés l’un en dessous de l’autre
sur le dos des pochettes de « I could live in hope »
ou encore de « Long division » comme « word
», « violence », « fear », «
down ». Donc, quand Low dit : « confiance »,
ils pensent : « confiance », et, ce pourrait-il qu’à
ces mots, qu’à CE mot, Low, délicatement,
se retourne vers nous, interrogateur, leurs yeux dans nos yeux
de misérables oreilles sur pattes : consentons-nous à
lâcher un peu de notre méfiance et à leur
accorder quelques grammes de notre précieuse confiance
? Impossible de les laisser tomber, du coup !
- Valérie
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